- TUMEURS VÉGÉTALES
- TUMEURS VÉGÉTALESLes tumeurs végétales sont des hyperplasies qui ont en commun avec les cancers des animaux deux caractères particuliers: elles échappent aux mécanismes de régulation de la croissance ; elles sont susceptibles de donner des souches de cultures de tissus que l’on entretient par repiquages, sur des milieux ne suffisant pas au développement des cultures de tissus normaux. Les massifs cellulaires ainsi obtenus, exempts d’agent inducteur, se multiplient par greffe sur un hôte sain. En oncologie végétale, on distingue, d’après la nature de l’agent inducteur, les tumeurs à virus, les tumeurs spontanées de certains hybrides, les tumeurs induites par des radiations, celles qui apparaissent sous l’influence d’un déséquilibre hormonal et celles, de beaucoup les plus étudiées, qui sont induites en présence d’une bactérie du sol, Agrobacterium tumefaciens. Ces véritables tumeurs diffèrent des galles, ou cécidies, qui ont parfois une configuration anatomique rappelant celle des néoplasmes, mais qui ne supportent pas l’épreuve du greffage.Galles, ou cécidiesSelon l’agent inducteur, on distingue les zoocécidies provoquées par divers Invertébrés (Insectes, Acariens, Nématodes), les phytocécidies (mycocécidies) et les bactérocécidies.Zoocécidies. De beaucoup les plus fréquentes, les zoocécidies résultent donc du développement des œufs déposés par les femelles de divers Invertébrés à la surface ou à l’intérieur de la plante. Les tissus stimulés par leur présence se soulèvent et les englobent. Lorsque l’attaque est superficielle, le nodule s’efface après le départ du parasite et il ne reste aucune trace apparente de la maladie. Si les lésions s’accroissent et se compliquent, des dégénérescences graves apparaissent. L’exemple le plus célèbre en est donné par la dégénérescence de la vigne infectée par un puceron, le Phylloxera.Maladies hyperplasiques dues aux champignons. Les tissus végétaux attaqués par des champignons réagissent par l’hypertrophie de leurs cellules au niveau des organes où le mycélium va fructifier. Par exemple, la cloque du pêcher atteint les feuilles, qui apparaissent bosselées, épaissies, cassantes, jaune pâle ou rosées; elles se recouvrent, à un moment donné, d’une fine pruine blanchâtre constituée par les ascopores du prédateur, un Ascomycète. De même, les fleurs s’hypertrophient et deviennent cassantes, les jeunes pousses présentent des boursouflures charnues et décolorées. Une coupe faite dans une feuille cloquée montre un développement considérable d’un parenchyme homogène, presque entièrement dépourvu de chlorophylle.Bactériocécidies. Les bactéries sont incapables de percer la paroi cellulosique des cellules végétales. Elles pénètrent donc dans les tissus par des blessures ou bien à la faveur d’une infection par un champignon parasite, qui leur ouvre la voie. Certaines maladies bactériennes sont propagées par des insectes. Les réactions de l’hôte aboutissent à des hyperplasies souvent partiellement nécrosées dans lesquelles les bactéries se développent abondamment. La maladie du tubercule de l’olivier, connue depuis l’Antiquité, se manifeste par la formation d’excroissances, parfois très volumineuses, sur les racines, le tronc, les branches et les feuilles. Les arbres sont rabougris et improductifs. L’agent de la maladie est le Phytomonas savastanoï ; il est introduit dans la plante par de petites blessures, comme celles que cause la grêle, ou inoculé par la mouche de l’olivier, Dacus oleae , lorsqu’elle dépose ses œufs dans l’écorce.Une autre hyperplasie, d’origine bactérienne, causée par le Corynebactérium fascians , s’observe sur diverses plantes, pois, chrysanthème, dahlia, tabac. Le développement de la tige principale est ralenti, et simultanément apparaissent des rejets dilatés anormaux, appelés couramment «balai de sorcière», ainsi que des «nodules» dus au fonctionnement anormal du méristème primaire. Les organes jeunes sont seuls atteints, ce qui semble indiquer que la cécidogenèse n’est possible que si les tissus sont en voie de développement. Les néoformations ne subsistent que si la présence du parasite est permanente ; de ce fait, les proliférations induites en présence de Corynebacterium fascians sont typiquement des cécidies. On a démontré que la bactérie libérait deux cytokinines (hormones de la division cellulaire), qui perturbent l’équilibre hormonal et influencent la régulation de l’expression du potentiel génétique cellulaire sans que ce dernier soit modifié.Cancer des plantesCrown-gallLa principale forme de cancer des plantes est le crown-gall, qui doit son nom à une protubérance cancéreuse apparaissant au collet de la betterave à la suite d’une blessure de la plante souillée par de la terre. On connaît plus de 140 espèces de plantes, Dicotylédones ou Gymnospermes, sensibles au crown-gall. Cette forme a permis d’étudier la cancérisation, qui s’accomplit en trois étapes.Étapes de la cancérisationLa première étape met en évidence le rôle d’un traumatisme. Au bout d’un temps déterminé, les cellules saines, au voisinage de la blessure, ont subi certaines modifications: elles deviennent aptes à recevoir un éventuel agent inducteur d’une tumeur. C’est un «conditionnement» qui est tout aussi indispensable à d’autres formes de cancérisation des plantes, comme les tumeurs spontanées des hybrides ou les tumeurs à virus.La deuxième étape de la transformation, l’induction , exige la présence de l’agent inducteur, une bactérie du sol, Agrobacterium tumefaciens. Pendant cette période de durée limitée s’élabore dans la plante un «principe inducteur de la tumeur» capable d’effectuer progressivement et cumulativement une série de modifications inapparentes. La bactérie n’intervient jamais en pénétrant dans les cellules. On ne la trouve que dans les méats, ou espaces intercellulaires. L’infection de la plaie par les bactéries tuées ou lysées est sans succès.La troisième étape est celle de la prolifération des cellules transformées, potentiellement tumorales, qui ont perdu le pouvoir de s’inhiber réciproquement, par contact. L’agent inducteur se raréfie et, dans les tumeurs primaires âgées, il n’est pas facile de mettre en évidence les quelques bactéries qui y subsistent encore.À partir de ces tumeurs primaires, on peut obtenir expérimentalement des proliférations tout à fait aseptiques, entretenues en cultures de tissus. Elles se multiplient par greffe et répondent aux critères de la cancérisation.Processus de l’inductionL’intervention temporaire de la bactérie dans les processus de l’induction est encore mal connue. Différentes théories sont actuellement confrontées.L’une d’elles est une hypothèse virale: un virus associé à la bactérie, un bactériophage, infecterait les cellules de l’hôte. Ce concept est attrayant parce qu’il rapproche le crown-gall des cancérisations animales réalisées par des virus oncogènes à acide désoxyribonucléique ou à acide ribonucléique. Les souches d’Agrobacterium tumefaciens sont lysogènes, et une élaboration des bactériophages survient quand les bactéries sont insérées dans les débris végétaux de la plaie d’inoculation. D’ailleurs, l’efficacité d’une population de ces bactéries s’accroît si elle est exposée à l’action des rayons ultraviolets ou à celle de la mitomycine C, traitements qui induisent la production de phages. Les cultures aseptiques de tissus tumoraux libèrent des bactériophages. Le fait que des bactéries de souches avirulentes soient lysogènes et libèrent aussi des phages dans la plaie d’inoculation laisse supposer que la transformation complète des cellules conditionnées nécessite deux agents d’origine bactérienne, le phage et un autre, inconnu, dont l’action s’ajoute à celle du virus oncogène.Une deuxième théorie, celle de la transformation, avance comme hypothèse que le principe inducteur est intégré dans le génome de la cellule hôte. On sait que l’ADN d’une bactérie peut pénétrer dans une cellule végétale, et, par des méthodes d’hybridation, in vitro , on a pu faire apparaître les ressemblances qui existent entre l’ADN des bactéries et celui des tissus tumoraux. Au cours de l’induction, un complexe transitoire pourrait se former entre un ADN de blessure, spécifique de la plante, et l’ADN de la bactérie ou du phage. Une partie de ce complexe, au moins, s’intégrerait dans le génome de la plante hôte. Cependant, on a pu déceler le rôle fondamental d’un ARN au début de l’induction: la tumorigenèse est inhibée quand une ribonucléase est introduite dans la blessure deux heures avant l’inoculation des bactéries.On trouve dans les cultures de tissus aseptiques des acides aminés, l’octopine et la nopaline, qui n’existent pas en quantité décelable dans les tissus sains. La nature de ces produits dépend de la bactérie qui a été à l’origine de la cancérisation. Telle souche engendre des tumeurs à nopaline, telle autre des tumeurs à octopine, et ces caractères se maintiennent indéfiniment. Quelques souches d’Agrobacterium tumefaciens présentent une perte de la virulence, associée à une incapacité de dégrader l’octopine. L’octopine, comme la nopaline, favorise spécifiquement la prolifération des tumeurs. La cellule tumorale synthétise, en outre, bien d’autres substances qui sont des facteurs de croissance et de division cellulaire.En utilisant des cultures aseptiques de clones de tissus tumoraux capables de donner des tératomes, on obtient, par des greffes et des cultures alternées, une prolifération rapide des cellules cancéreuses. On assiste alors progressivement à l’élaboration de tératomes de moins en moins anormaux et, finalement, on peut obtenir une plante saine qui ne donne plus de tumeur et qui est sensible à une cancérisation par les méthodes habituelles. Ces résultats laissent à penser qu’avec ce matériel, au moins, une entité biologique cytoplasmique est responsable du maintien de l’état tumoral. En se multipliant moins vite que la cellule elle-même, elle peut finalement être diluée au point de disparaître.Tumeurs à virusUn autre cancer des plantes, la tumeur de blessure de Black, met en œuvre des mécanismes de la transformation cellulaire qui paraissent être aussi de nature épigénétique. Le virus qui a été isolé et purifié est composé d’un ARN bicaténaire, entouré d’une couverture protéique. Sa masse moléculaire est de l’ordre de 15,5 millions. Dans un seul brin de la double chaîne d’ARN, il y a 50 fois plus d’acide nucléique qu’il n’en faut pour synthétiser les protéines de l’enveloppe. Il y a donc, en puissance, une information génétique pour coder 24 autres protéines de la taille de celles qui assurent la couverture. Aucune fonction n’a pu être attribuée à ces gènes «excédentaires». Le virus se trouve concentré dans certains tissus d’un insecte qui le transporte et l’inocule, en assurant ainsi la dispersion. Il ne cause aucune maladie apparente chez l’insecte infecté. L’induction des tumeurs par le virus disséminé dans toute la plante ne s’accomplit que localement à la faveur d’une blessure. Les proliférations tumorales induites par ce virus, comme celles du crown-gall, croissent sur un milieu qui ne permet pas la culture de tissus sains. Leur croissance est indéfinie, même quand toute trace de virion a disparu des cellules en culture. Le virus de la tumeur de blessure libère les potentialités néoplasiques cellulaires, mais il n’est pas nécessaire à la continuité de leur expression.Tumeurs spontanées des hybridesLes tumeurs génétiques sont des proliférations cancéreuses qui apparaissent dans des organismes présentant certains génotypes particuliers. Ces tumeurs sont connues chez les plantes depuis une centaine d’années. On les observe sur le pois, et leur apparition est liée génétiquement à un gène dominant Np localisé sur le chromosome IV. L’induction et la croissance des hyperplasies sont cependant sous l’influence de facteurs externes comme la qualité de la lumière et la durée de l’éclairement.Les plus connues des tumeurs génétiques sont des tumeurs d’hybrides, tout spécialement celles des hybrides de tabac. Une trentaine de combinaisons d’hybrides sont susceptibles de développer des tumeurs, ce qui laisse supposer que seules certaines combinaisons génotypiques sont oncogènes. Aucun agent viral n’a été mis en évidence dans les plantes portant ces tumeurs. Aucun agent cancérigène n’est transmissible par greffe sur une plante ne possédant pas la combinaison génétique compétente. La formation de tumeurs est la même que l’un ou l’autre des parents de l’hybride, mâle ou femelle. La capacité de donner des tumeurs n’est donc pas liée à des éléments cytoplasmiques présents seulement dans l’une des espèces parentales, mais elle dépend d’éléments nucléaires fournis par chacun des parents.À partir de ces tumeurs, on peut obtenir des cultures de tissus tumoraux qui prolifèrent in vitro sur des milieux contenant un sucre et des sels minéraux. Comme pour les cultures de tissus tumoraux d’autres origines, on constate qu’il y a synthèse des facteurs de croissance (auxine et cytokinine). L’autonomie de la croissance est alors assurée.Des hypothèses diverses ont été avancées pour expliquer la tumorisation génétiquement contrôlée. Le système métabolique est d’un fonctionnement instable, car il est sous la dépendance de deux ou de plusieurs génotypes différents qui sont rassemblés dans les cellules de l’hybride.Ce système fonctionnerait cependant normalement quand les conditions de croissance sont rapides. Dans des conditions particulières, comme celles d’une irradiation ou d’une blessure, un déséquilibre surviendrait entre les régulations de croissance phytogénétiquement différentes. Les déviations métaboliques qui se produisent conduiraient à une transformation irréversible de la cellule normale en cellule tumorale.Ces résultats, et ceux que l’on a obtenus en étudiant certains cancers des animaux, suggèrent que les noyaux des cellules tumorales ne sont pas altérés: les génomes de ces cellules et ceux des cellules normales sont équivalents. Les transformations cellulaires épigénétiques de la cancérisation sont potentiellement réversibles.
Encyclopédie Universelle. 2012.